Les tribulations d'un papa qui se prenait pour une maman

Les tribulations d'un papa qui se prenait pour une maman

J'fais quoi moi maintenant?

Lorsque je suis arrivé là, j'ai entendu la lionne.

Elle rameutait sa tribu par la fenêtre de la salle de bain. Je l'entendais revendiquer le calme.

Elle m'a fait entrer sur son territoire.

 

Comme chaque fois que je débarque quelque part, je ne sais pas à quoi m'attendre.

 

Au début j'ai cru que j'avais à faire à la fille du patient que je venais voir.

Elle était jeune et pleine de santé. D'habitude le malheur ne s'abat pas si tôt.

 

Son intérieur cossu respire le bon goût et je ne vois pas les habituelles traces que l'on retrouve invariablement  lorsque la personne a subi une dramatique perte d'autonomie. Pas de médicaments par-ci  par-là, pas de matériel adapté pour palier la perte de mobilité.

 

La lionne commence à réciter une fois de plus les instructions qui vont m'aider à remplir ma tâche. Je ne suis ni le premier, ni le dernier qu'un triste destin oblige à accueillir chez elle.

 

Lorsque je me rends chez un patient, je ressens toujours un léger malaise en pénétrant chez lui, une petite inquiétude de ne pas comprendre réellement  ses besoins ou d'être vécu comme un intrus.

 

Quand j'ai vu l'homme blessé qui m'attendait à l'étage, dans sa salle de bain, j'ai peut-être marqué un temps d'arrêt en le voyant.

Il semblait inquiet de devoir laisser encore une nouvelle personne s'approprier son corps le temps de la toilette.

 

Autour de nous, on entendait deux voix enfantines pleines de vie chahuter et par moment la lionne donnait de la voix pour calmer ces deux petits trésors.

 

Nous avons fait connaissance dans les vapeurs de la douche. Un homme digne qui malgré son hémiplégie, tentait de se tenir droit face aux cruautés de la vie.

Il s'est un peu raconté, m'a parlé de  ses difficultés face à sa maison inadaptée, de son passé sportif, de son amour pour ses filles, de sa vie perdue et du présent.

Rien de larmoyant dans ses propos, juste son quotidien.

 

Après la toilette, nous sommes descendus à la cuisine pour le petit déjeuner.

Elle paraît innocente cette phrase, mais lorsque vous êtes hémiplégique, affronter un escalier est un combat, surtout lorsque vous avez vos deux enfants qui vous attendent au pied des marches pour profiter de leur papa.

Il était déjà tombé, peu de temps avant et j'en avais vu les traces sous la douche.

 

Nous avons discuté un peu tous les trois, puis j'ai pris congé et continué ma tournée.

 

Dans la voiture, deux choses n'ont pas quitté mon esprit.

 

L'image d'une femme forte et déterminée avançant malgré tout et se débattant pour sauver son monde avec la volonté et l'énergie d'une lionne.

 

Mais aussi la voix calme d'un homme brisé qui doit reconstruire son environnement et qui face à l'énormité du chantier se demande : « J'fais quoi moi maintenant ! »

 

Ils ont tous deux à peine la quarantaine et je les trouve admirables d'avancer sur le difficile chemin qu'ils ont emprunté.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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27/09/2016
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