Les tribulations d'un papa qui se prenait pour une maman

Les tribulations d'un papa qui se prenait pour une maman

Les Centurions de la République.

 

 

 

 

 

La première fois que je les ai vus, j'étais chez la famille Santos en train de préparer la soupe.

 

En arrivant chez eux, un jeune feu follet encapuchonné, m'a expliqué que des mômes avaient jeté des cocktails Molotov dans une voiture de la maréchaussée.

Voyant que je n’étais pas au courant, il me dit:«Les keufs ont débarqué en masse, et ça va être un nouveau 2005».

Regrettant d'avoir été trop jeune pour connaître cette période qu'il m'enviait d'avoir vécue,il rajoute: « Pour des gamins qui font les cons, on va tous payer...».

Puis comme sortant de ses pensées, me gratifie d'un «Salut l'ancien!», me dit de prendre soin de moi, puis disparaît dans la « grande borne ».

 

Deux choses m'ont laissé songeur après cette rencontre.

 

Le jeune homme avec lequel je parlais avait à peine seize ou dix sept ans et il disait que ceux qui avaient gravement blessé la police étaient des « mômes »!

 

Ce gamin parlait de 2005 comme moi je parle de mai 68, avec le même regret de ne pas être né plus tôt pour y avoir participé...

Je trouve pour ma part que le printemps 68 avait du souffle, une idéologie, voire un but.

Sa révolte à lui avait été aveugle et stérile, une violence incontrôlée qui pointait sa propre impuissance, juste il s’accrochait à la dernière fois que tous ces jeunes avaient existé pour la société.

 

Tout cela pour dire que, touillant la soupe, je vis une marée noire passer devant la fenêtre.

 

Plus d'une vingtaine de centurions avançaient entre les bâtiments. Silencieux dans leurs armures de kevlar, armes à la main, ils quadrillaient le périmètre. Un de ces guerriers passa à hauteur de la fenêtre et nous intima l'ordre de ne pas bouger .

 

Je peux dire que les trois locataires des lieux et moi même n'avions aucune envie de sortir à ce moment là...

 

Sur la route après m’être éclipsé dès que je le pus, j'écoutais la radio me faire le résumé des événements ou tout du moins la version officielle. Je ne vous en ferai pas le détail, tout a été dit (et son contraire).

 

Le lendemain je passais comme tous les jours au fameux carrefour où a eu lieu le drame.

 

Les policiers étaient des dizaines, leurs véhicules renforcés s’étalaient sur les environs. Armés de leurs fusils d’assauts, certains observaient, d'autres revêtaient leur lourd matériel, à l’arrière des fourgonnettes, il y avait du café chaud fumant dans le frimas et des échanges entre collègues.

 

Je m'attendais à apprendre le nom des responsables dans la journée... une histoire rondement menée... Caseneuve... professionnalisme... et maintenant la météo... Elle dit toujours la même chose ma radio.

 

La journée passait... pas de news.

 

Le soir en allant voir Mr Jean, vénérable homme des îles, échoué à Grigny (une de mes premières rencontres dans mon nouveau métier), je fus suivi par un curieux cortège.

 

La petite rue piétonne qui mène chez lui, d’habitude si animée, était presque déserte. Quelques rares riverains rasaient les murs pour rentrer chez eux.

Trouvant la chose bizarre, je me retournais pour voir d’où venait le problème.

Il y avait là toute une cohorte silencieuse marchant vers moi.

 

Les centurions prenaient toute la largeur et remontaient la rue porte après porte. Ils donnaient une impression de puissance et semblaient pouvoir balayer tous les obstacles.

 

Une fois rentré chez Mr Jean j'observais par la fenêtre les forces de l'ordre encercler un petit groupe de jeunes. Quatre feux follets au pied d'un escalier. Ils se sont massés autour d'eux intimidants, ont procédé à un contrôle et les ont dispersés sans ménagement mais sans violence non plus.

 

Lorsque je suis sorti pour rentrer chez moi, à 20 heures tout était à nouveau calme et désertique.

 

Des regards aux fenêtres épiaient les environs, je me demandais ce que pouvaient ressentir tous ces gens derrière leurs vitres en voyant les centurions affluer et refluer devant leur maison, jusqu'à quatre fois par jour.

 

Il y a deux forces. D'un côté la force brute des centurions voulant venger l'agression de deux frères d'arme, de l'autre les feux follets rapides et connaissant le terrain par cœur. Eux aussi, ils se ressemblent tous sous leurs capuches...

 

Ça fait plus de dix jours que tout ce petit monde s’affronte à distance.

 

Et au milieu de tout cela, il y a mes clients, inquiets, car il est déjà si excluant de vivre dans cette cité oubliée du monde et repliée sur elle même.

 

Je sais que ce n'est pas dans l'air du temps de dire ça, mais il faudrait bien leur donner une raison d’être à tous ces feu-follets. Leur inventer un avenir. Faute de quoi le jeu de dupe entre les centurions et eux ne s’arrêtera jamais. Et par les temps qui courent les laisser à la dérive se replier sur eux même risque fort de les pousser dans les bras de fous de plus en plus nombreux...

 

Tout ça pour une caméra... !!!

 

 

 

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30/10/2016
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