Chapitre 1
J’ai vécu ta venue avec inquiétude.
Lorsque nous sommes arrivés à la clinique ta mère et moi, elle a été branchée sur monitoring. Elle avait une infection et tu faisais de l’arythmie. Nous sommes restés suspendus au rythme de ton cœur qui par moments faiblissait, puis repartait de plus belle, tu t’es accroché pour venir p’tit cœur.
A ta naissance lorsque je suis allé faire ta toilette, j’ai compris ce qu’était réellement l’amour, comme si une partie de moi était dans ce couffin.
J’ai ressenti pour toi un lien d’une force et d’une intensité que je ne croyais pas pouvoir éprouver. Tu es devenu instantanément le centre de mon univers.
Durant ta première année d’existence, j étais pris par une foule de sentiments contradictoires et très intenses.
L’amour que je ressentais pour toi s’intensifiait au fil des jours, mais la vie que nous vivions avec ta mère ne me plaisait pas. C’était insidieux et pas réellement explicable mais je découvrais qu’elle n’était pas faite pour moi.
Pour bien comprendre ce que je vivais à ce moment là, il nous faut faire un saut dans le passé et nous retrouver un an avant ta naissance.
Ma sœur Nathalie venait de mourir d’un accident de voiture qui m’avait traumatisé.
Ce deuil m’avait plongé dans une profonde dépression dont je n’arrivais pas à me sortir. Une seule chose comptait pour moi: c’était toi p’tit cœur. Je laissais tout aller autour de moi, ne trouvant que la force de t’aimer. Ma situation financière devenait très problématique. Je devenais l’ombre de moi-même et ne trouvais plus l’énergie de réagir.
Le départ de ta mère fut un électrochoc.
J’ai imaginé ma vie sans toi, la terreur que m’a inspiré cette idée m'a fait sortir de ma torpeur.
Pour ne pas te perdre, même si ne pas te voir tous les jours me répugnait, je suis devenu un papa à mi-temps: ta mère ma proposé la garde alternée.
Du haut de tes deux ans tu as réussi à me faire sortir de ma léthargie, mais n’allons pas trop vite.
Ta mère m’expliqua que notre histoire était finie, elle désirait sa liberté. Je ne fus même pas triste de la perdre. A vrai dire nous nous étions perdus depuis longtemps. Ce qui avait été notre couple s’était délité, il n’en restait que des habitudes qu’elle avait décidé de détruire pour partir avec notre voisin. Il était de son âge et jouissait d’une meilleure situation.
Ce jour là, j’ai pris un billet de train pour Agen, ma grosse valise, et toi sous mon bras, pour essayer de comprendre ce qui nous arrivait.
Nous avons traversé Paris, toi accroché à moi comme un petit panda. Je tirais notre valise les yeux brouillés par la détresse, continuant à avancer comme un automate, soutenu uniquement par la chaleur et la tendresse de ta main.
Je te revois essayant de m’aider à tirer la valise en lançant de bruyants « Je t'aide papa ! ». Ta maison s’écroulait et tu devais le sentir d’une façon ou d’une autre. Nous sommes restés collés l’un à l’autre dans le TGV jusque chez mémé. Tu étais aussi perdu que moi.
A Agen «ta p’tite Mémé» comme tu l’appelles affectueusement, a commencé à nous reconstruire.
Chaque jour elle me répétait que j’étais quelqu’un de bien. Elle faisait tout ce qu’elle pouvait pour nous rendre la vie plus douce, alors que je ne cherchais qu’à me dévaloriser,. Je rêvais de fuite sur un autre continent avec toi.
Mémé nous mitonnait de bons petits plats, elle restait sourde à mes divagations et nous « chouchoutait ».
Le matin je préparais ton biberon, puis elle se levait et allait chercher du pain, elle te faisait des tartines de beurre que tu léchais avec gourmandise.
Puis nous allions dans la salle à manger pour regarder les dessins animés.
Nous nous promenions au bord de la Garonne et regardions les « grands » faire du skate-board ou des rollers, puis tu courais et jouais avec les autres enfants au parc du « gravier » face à la passerelle qui enjambe la rivière.
Quand nous y allions tous les deux je m’asseyais sur un banc et me mettais à rêver que nous resterions là pour toujours, loin de mes problèmes financiers, loin de ma détresse. Je m’emplissais de toi. Tes rires et tes câlins me réchauffaient le cœur.
Tu me suivais partout, mémé ne pouvait te promener seule, comme si tu avais peur de ne plus me retrouver si je te laissais cinq minutes.
Après une semaine, ta mère est venue te chercher avec mamie Chantal.
Mémé a mis les petits plats dans les grands pour les recevoir. Tout le monde s’est comporté comme des personnes civilisées.
Je vous ai accompagnés à la gare, tu t’accrochais à moi, nous nous faisions des câlins en attendant le train, tandis qu'elles conversaient.
Mes sourires masquaient avec peine ma détresse.
Ton train s’est éloigné d’Agen. Mon cœur s’est glacé, mon âme a sombré. Je savais que l'instant de ton départ serait la plus grande peine de ma vie. J'en avais connu avant, j’en connaîtrais après, mais rien en comparaison de la souffrance quasi physique qui me dévorait, j’étais détruit par ton absence.
La ville était elle là même ?
Tout me paraissait sombre, décalé. En permanence mes yeux étaient brouillés. Il n’existait plus de couleurs, plus d’odeurs, le froid envahissait tout. Je me faisais l’effet d’être un fantôme parmi les vivants.
Je te cherchais dans les parcs, au marché, dans les rues, chaque enfant croisé était une torture. Après avoir perdu ma sœur je te perdais toi! J’ai erré ainsi jusqu'à ce que je parte chez ton cousin Grégory.
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