Chapitre 12
C'est étonnant de voir à quel point l'amour filial ne dépend pas des liens du sang mais du temps passé avec ses parents.
Mon père a refait sa vie avec une femme du nord. Elle lui a fait un fils. Petit à petit elle l'a éloigné de nous, défendant son territoire, et sa progéniture.
Il m'a redonné ma « liberté » à l'âge de douze ans.
J'ai grandi sans lui, le peu de souvenirs que j'en ai s'estompe avec le temps.
Lorsque j'ai appris sa mort, j'ai été surpris de ne ressentir aucune peine, même pas une vague sensation de perte.
Des souvenirs me revenaient lointains comme usés par le temps. Des vacances surtout, au bord de la mer, à la montagne. Il y a trente ans, une éternité...
Depuis, quelques vagues contacts, lors de mon mariage, ou à la mort de Nathalie. Rien que de superficiel : des obligations en quelque sorte.
Ma tante est venue chez moi pour que je l’accompagne à la cérémonie. Elle venait de Tarbes pour l'occasion. Elle aussi était une réminiscence de mon passé.
Je me souvenais d'une femme dynamique souriante qui s'était toujours montrée gentille envers Nat et moi. J'avais donc accepté de bon cœur.
Tous les deux, mon p'tit cœur nous avons été la chercher à la gare Montparnasse, pour rejoindre le petit village de Trumilly dans l’Oise à côté de Crépy en Valois.
Elle était volubile comme dans mon souvenir, parlant de tout et de rien, surtout de rien.
Elle « comprenait » semblait-il la distance qui s’était installée entre mon père et moi, elle disait être de mon côté, mais comment peut il y avoir un côté face à la mort ?
Je savais par ouï-dire que mon père et elle étaient en froid depuis des lustres, pour de sombres histoires d'argent.
Elle se moquait gentiment des feuilles mortes qui encombraient les pares soleils de la voiture, « les petits cadeaux d'amour », que tu me ramenais en sortant de l'école.
Nous sommes arrivés devant l’église. Une foule imposante attendait là, larmoyante.
« Tantine » est allée se fondre dans la masse.
Nous sommes restés à l’écart. Je t'ai amené manger un hamburger et je t'ai acheté un jeu vidéo. Puis, nous sommes revenus à notre place devant la maison de dieu pour attendre la fin du culte. Tu jouais sur la pelouse, heureux, pendant que tous pleuraient mon père.
Qu'aurais je fait dans cette église ?
Je n'avais rien à dire à cet étranger, ni même à sa veuve ou à leur fils qui se tenaient digne dans leur tristesse en tête de cortège.
Beaucoup de gens étaient présent, les notables du coin, ses nombreux amis et connaissances. Il a eu droit à un article dans le journal du coin, expliquant son importance dans la communauté et tous les services qu'il avait rendu à la région en promouvant son sport favori : le rugby. Il était ce que l'on appelle un homme important. Mais était ce un homme bien ?
Je te regardais pianoter sur ton jeu, comme toujours attendri, ma vie était là avec toi, pas avec tous ces gens pleurant un inconnu.
Au sortir de l’église ma tante m'a dit qu'elle restait là et repartirait de Crépy.
J'ai regardé la foule marcher vers le cimetière puis j' ai redémarré et nous sommes rentrés chez nous.
Sur le chemin du retour, le film de la journée repassait dans ma tête. En fin de compte, je ne connaissais pas mon père. Comment cet homme du sud pouvait il reposer dans ce cimetière, balayé par les vents, perdu dans cette froide contrée ?
Moi, j'aurais donné tant de choses pour rester dans le sud où j'estimais avoir mes racines. Lui avait fait le chemin inverse, il avait trouvé la paix et le bonheur dans cette région froide. Pour cela il s'était éloigné de ses premiers enfants.
Nous étions antagonistes, pourtant je lui ressemble physiquement de façon troublante. Je suis la copie d'un inconnu.
Je pensais aussi à ma grand mère paternelle, m'inquiétant pour elle, elle avait frôlé la folie à la mort de son mari, avait été internée quelques temps et ne s'en était jamais vraiment remise. Je l'avais revue deux ans plus tôt. Elle n’était que l'ombre d'elle même. Elle passait par des phases de confusion et ne me reconnaissait pas toujours lors de mes visites.
J'avais peur maintenant qu'elle ne survive pas à cette nouvelle tragédie. Elle était la seule personne qui nous considérait de sonclan et n'avait jamais vraiment pardonné à son fils de nous avoir abandonnés. Elle était le seul lien que je gardais avec ma famille paternelle.
Lorsque j'ai revu ma « tantine » c’était chez ma mère elle venait nous proposer de racheter nos parts de la maison de ma regrettée mamie, une bouchée de pain. Elle lui avait fait signer un testament lui donnant les deux tiers de ses biens.
Cette charmante « tata » qui prétendait comprendre ce que nous avions vécu Nat et moi avait fait comme tout le monde, elle nous avait reniés, pour de l'argent et quatre murs...
Nous arrivons bientôt à la fin de tes jeunes années p'tit cœur.
Reste à te décrire un événement qui a profondément modifié les relations que j'entretenais avec pépé.
Pourquoi et comment j'ai baissé les armes.
C'est ce qui s'est passé quand mémé est presque morte.
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