Les tribulations d'un papa qui se prenait pour une maman

Les tribulations d'un papa qui se prenait pour une maman

Chapitre 13

 

Voilà p'tit cœur on arrive au bout. Tu as 10 ans et tu vas continuer à écrire ton histoire tout seul.

 

Je t'ai donné ma version de ton enfance, tu t'y plongeras je l’espère dans quelques années.

 

Il me reste à te raconter le dernier fait marquant de ton enfance, puis je te tendrai ma plume et te laisserai prendre ton histoire en main.

Avant cela il me reste à te parler de ce jour terrible...

 

J'étais dans la cuisine lorsque le téléphone a sonné. Tu regardais «  Emilie jolie » dans la salle.

 

Pépé musique au bout du fil, m'expliqua l'impensable : Mémé était à l’hôpital.

 

Elle soufrait d'une pathologie sévère, le syndrome de Boerhaave. Sa trachée était fissurée et du liquide avait envahi ses poumons, son état était stable pour le moment mais l'affaire était très grave.

 

Bien sûr il ne l'a pas dit en ces termes, il a tenté d’être rassurant, se raccrochant à l' image de la femme lumineuse qu'elle était pour lui. Pourtant derrière chaque mot je sentais son angoisse et sa voix laissait transparaître sa peur.

 

Je ne sais plus exactement ce que nous nous sommes dit au téléphone, je garde seulement le souvenir de mon ressenti. Au début incapable appréhender l'information, la réalité s'est peu à peu insinuée en moi comme un poison, privant mon esprit de réaction.

 

Puis la voix de mémé, faible souffle de vie dans le combiné.

Entre temps ta tête était apparue dans l'encadrement de la porte de la cuisine et tu m' as demandé avec gravité « ça va papa » ?

 

Mon esprit a finalement intériorisé la situation, ne pas trop t’inquiéter même si la vue de mon visage à ce moment là ne facilitait pas les choses. Je n'arrivais pas à contrôler les larmes qui coulaient sur mes joues.

Que faire ? Comment aider, si loin de chez eux ? En te regardant mon cœur, j’ai su que toi et tout l'amour que tu partages avec mémé étaient le seul baume que je pouvais appliquer sur sa souffrance.

 

D'un côté du combiné ta petite voix qu'elle aime tant, de l'autre toute sa volonté pour te parler malgré son état.

Il y avait là mon univers en miette. Une fois le téléphone raccroché, nous avons regardé la suite du spectacle d’Émilie collé l'un à l'autre, les yeux mouillés. Pendant la dernière chanson, lorsque tous les personnages du conte font leurs adieux, nous avons pleuré.

 

 

Pépé appelait régulièrement, consciencieusement il nous tenait au courant de l'état de santé de mémé. J'appelais aussi l’hôpital pour avoir des nouvelles.

 

Tata Martine, était morte d’angoisse elle aussi et nous nous téléphonions tous trois régulièrement pour échanger les nouvelles et chacun à sa manière prier pour son rétablissement.

Pendant ce temps mémé était sur un lit d'hôpital en train de se battre contre la mort.

Les journées passaient avec l'angoisse d'entendre le téléphone sonner à l'hôpital psychiatrique où je travaillais.

 

 

La ville avait revêtue ses habits de lumière. Les guirlandes multicolores égayaient les rues et les magasins se chargeaient de cadeaux.

La maison du Père-Noël était revenue au centre commercial. Un Père-Noël plus vrai que nature attendait les enfants pour la traditionnelle photo et tout autour de sa maison, des fenêtres donnaient à voir de magnifiques marionnettes d’elfes construisant des jouets.

La frénésie de Noël envahissait tout.

 

Les vacances approchaient et je dois dire que c'est la seule fois où je fus soulagé et heureux de savoir que tu allais passer Noël chez ta mère, loin de l’angoisse que je ressentais et que j'avais de plus en plus de mal à te cacher. Tu me voyais sortir de la cuisine après chaque coup de fil les yeux rougis. Je tentais de te sourire mais la peine devait se lire sur mon visage malgré mes efforts et mes : «  Mémé va un peu mieux. » ne te convainquaient pas réellement.

Ta mère t'a emmené loin de cette angoisse que je n'arrivais plus à refréner et qui me ronger intérieurement.

 

Une fois seul j'ai donné libre court à mes peurs.

Je me suis remis à lire le roman qu'avait écrit mémé quelques années plus tôt. Elle n' avait pu ou voulu le publier je n'ai jamais su. En lisant ses mots j'avais l'impression d’être avec elle.

 

Noël arriva, je me gavais de films racontant des histoires du « vieillard débonnaire ». Je passais la nuit entre les mots de mémé, l'envie de croire en dieu, pour qu'il intervienne, et la tristesse de la savoir seule dans son lit de souffrance, raccordée aux instruments qui l'aidaient à vivre. Dans un coin de ma tète les souvenirs des Noëls de mon enfance me réchauffaient le cœur et me donnaient un peu de courage.

Je revoyais toutes les fêtes pleines de bonheur que nous avait fait vivre ma grand-mère.

 

 

Pépé passait son temps près d'elle, faisant tout ce qu'il pouvait pour garder espoir, prenant chaque jour comme un défit à relever.

Puis, le coup de téléphone tant redouté est arrivé, Pépé m'indiquait qu'il n'y en avait plus pour longtemps elle ne répondait pas bien au traitement.

 

C'est ainsi que je me suis retrouvé à Bordeaux par un jour glacial de février. L'esprit prêt au pire mais le cœur ne pouvant s'y résoudre.

Lorsque j'ai vu mémé, j'ai eu un choc. Sa voix était un murmure et son corps était décharné. Les tortures que lui avait imposées la maladie étaient visibles et j'ai du me morde la langue pour ne pas éclater en sanglots devant elle.

 

Je suis descendu au rez de chaussée, pour essayer de reprendre mes esprits et dans une boutique de l'hôpital j'ai vu une petite croix sur un présentoir. Je l'ai achetée et assis sur les marches j'ai déballée le bijou de sa boite, l'ai posé contre mon front et j'ai prié un long moment.

J' ai invoqué maman minou et ma sœur Nathalie, pressant le petit objet comme s' il avait le pouvoir d'emmagasiner mon énergie vitale et le lui transmettre après. Une de ces choses que l'on fait quand la peur dépasse la raison.

Puis je suis remonté prêt à affronter la réalité.

 

J'ai compris sur mon escalier le courage et la volonté qu'il fallait à pépé pour ne pas perdre confiance et continuer jour après jour à la soutenir de toutes ses forces.

Je suis persuadé que seule, sans son soutien et face à la souffrance qu'elle avait endurée, mémé n'aurait pas survécu.

J'étais venu pour la revoir avant qu'il ne soit trop tard.

 

Étrangement, c'est avec Pépé que j'ai fait la paix. Assis dans sa voiture qui deviendrait plus tard la mienne nous avons parlé un long moment. Nous avons évoqué nos souvenirs, les projets qu'il faisait pour eux deux.

 

En allant chercher tata Martine qui venait s'installer pour quelques temps à l’hôpital je m’étais fait une nouvelle idée de ton pépé. J'avais compris en partie leur histoire, la force de leurs sentiments. Je me sentais rassuré de savoir qu'il veillait sur elle, même si le passé avait été chaotique et nos oppositions nombreuses. Je comprenais maintenant les liens qui les unissaient.

 

Heureusement elle s'est remise peu à peu et ils ont pu vivre d'autres histoires, d'autres voyages.

 

II est temps de se retirer sur la pointe des pieds mon cœur et de les laisser se remettre des terribles moments qu'ils ont passés dans cet hôpital.

 

 

 

 



15/08/2015
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